Manifeste partie 3

La terre à celles et ceux qui la cultivent ! 

Nous voulons que l’accès à la terre et aux ressources soit garanti pour toutes celles et ceux qui pratiquent une agriculture paysanne. Nous voulons un cadre souple pour les paysan·nes qui favorisent une cohabitation saine avec la biodiversité en pratiquant une agriculture diversifiée, pour des habitats construits avec des matériaux moins impactant. Nous voulons voir refleurir les moulins et les fournils, les postes à souder et les toupines, les huileries villageoises et les greniers communautaires, les serres et les mares.

Pendant plus de 50 ans, on a voulu nous faire croire que les métiers de la terre étaient sales et avilissants. Nous savons que deux générations de payan·nes ont cru devoir devenir des « entrepreneurs », ont appris à avoir honte de leur métier, qu’iels aient commencé à le pratiquer par passion, par nécessité ou par filiation. Nous savons qu’iels sont extrêmement nombreux·ses à avoir connu la dépression, le burn-out, le suicide d’un père ou d’un ami. Une réalité aujourd’hui encore moquée par les technocrates de l’USP. Sans parler de tous les cancers et autres maladies liées à l’utilisation de la chimie. Nous voulons lutter à leurs côtés. Nous savons que les métiers de la terre sont aussi durs qu’ils peuvent être gratifiants, pour autant qu’on les reconnaisse et qu’on les rémunère dignement.

Nous savons que l’image d’Épinal de la famille nucléaire paysanne, sur laquelle reposent les lois qui régissent notre agriculture, étend la domination du vivant aux personnes qui ne sont pas nées hommes, et que le système agricole moderne reste violemment patriarcal. Nous savons que de nombreuses femmes ne sont reconnues que comme épouses ou filles de, alors qu’elles fournissent toute leur vie du travail gratuit sur la ferme, dépossédées de droits, d’assurances ou de retraites. Nous savons que toutes les personnes sexisées* ont encore moins de chance de pouvoir accéder à la terre que leurs confrères.

Nous savons aussi que les rangs des écoles d’agriculture, bio ou pas, officielles ou alternatives, se remplissent davantage chaque année, malgré tout ce qu’on veut nous faire croire, et que le frein à une agriculture durable ne se situe pas à ce niveau. Nous voulons que les centaines de jeunes et de moins jeunes qui le souhaitent puissent accéder à la terre, qu’iels soient filles de paysans conventionnels, fils d’enseignantes des villes en reconversion, universitaires, personnes non-binaires ou sans papiers. Car nous savons que la population agricole vieillit, que les savoirs se perdent aussi vite que la biodiversité s’appauvritet que la répression augmente. Nous n’atteindrons aucune équité sociale sans nous nourrir.

Nous voulons des fières paysannes décemment rétribuées. Nous voulons inventer un système alimentaire qui ne profite pas à la grande distribution, mais à celles et ceux qui choisissent de produire, de transformer et de cuisiner les aliments. Nous voulons qu’iels puissent vivre là où iels travaillent, surtout si cela implique de l’habitat léger et écologique. Nous voulons qu’iels aient les moyens d’inventer, de construire et de réparer leurs outils de production plutôt qu’iels aillent briser leurs vies contre le miroir aux alouettes de la digitalisation, du génie génétique, des drones qui nous surveillent et des tracteurs qui parlent, mais dont on ne peut plus changer une chambre à air.

Nous allons donc nous opposer à l’agrandissement des domaines encouragés par les paiements directs versés à l’hectare et par le droit foncier rural. Nous allons nous opposer à l’accaparement et à l’artificialisation des terres, facilités par les déclassements et la spéculation. Nous lutterons contre les zones industrielles et les centres commerciaux qui détruisent les terres, contre les golfs en gazon pour les riches, contre les « écoquartiers » en béton qui justifient de vider des champs, des friches, ou des fermes occupées, ces lieux de vie pourtant primordiaux en vue d’élaborer d’autres mondes face à la dévastation du vivant. Nous nous opposons à l’uniformisation des espaces ruraux, et nous nous battrons pour des terres cultivées et des forêts vivantes, et non pas des golfs, des routes de contournement, des parkings ou des musées en asphalte.

* personnes victimes du sexisme

Pour aller plus loin :

La terre à celleux qui la cultivent – accès collectif à la terre en Suisse

Embrasser la diversité rurale : Genres et sexualités dans le mouvement paysan